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Blog consacré à l'économie et l'économie politique

Mon opinion sur l'économie politique

 

L’économie politique, est-elle scientifique ?

 

Je partage l’opinion de beaucoup d’auteurs selon laquelle l’économie politique a en commun avec les autres sciences humaines d’être moins scientifique que les sciences naturelles. En fait, son sujet, les relations humaines, ici dans le domaine économique, se prête très mal à être objet d’étude scientifique, tout simplement parce qu’il est impossible de réaliser des expériences où l’on neutralise toutes les variables autres que celles dont on étudie l’interdépendance. On ne peut pas dire aux hommes : « mettez en veilleuse un instant tous vos penchants et toutes les déterminations que vous subissez, parce que nous allons étudier l’effet de votre revenu sur votre épargne ».

 

En conséquence, l’économie politique est incapable d’expliquer la réalité économique au sens plein du terme expliquer, une explication qui annihile à la fois l’ignorance et la possibilité d’interpréter ou de contester les résultats. Il reste toujours des zones d’ombre. Mais si elle n’explique pas, l’économie politique éclaire. Il y a des zones d’ombre, mais on n’est pas dans l’obscurité totale.

 

En conséquence des limites scientifiques de l’économie politique, les économistes sont très divisés sur beaucoup de sujets. Il y a deux lignes de fracture : une en microéconomie et une en macroéconomie. La seconde est la plus connue : c’est l’éternel débat entre les keynésiens et les anti-keynésiens. Chacun des deux camps comporte plusieurs chapelles, ce qui témoigne de la nature contradictoire du sujet : néo-keynésiens, théoriciens du déséquilibre, postkeynésiens, nouveaux keynésiens d’une part ; wickselliens, Autrichiens, monétaristes, nouveaux classiques d’autre part. L’aspect controversable de la microéconomie est moins patent, caché par la toute-puissance de l’école néoclassique, mais tout aussi réel. Une école se dresse fièrement contre le mastodonte néoclassique : les héritiers de Ricardo. Leur alternative apporte un éclairage complémentaire à celui des néoclassiques. Mais ce serait les surestimer que d’affirmer qu’ils dispensent la vérité scientifique de l’économie face à une école néoclassique dévoyée. C’est comme deux projecteurs braqués sur un même décor de scène qui mettent en relief un angle de vue différent… et malgré ce double éclairage, les zones d’ombre demeurent.

 

A mon sens, la mise en cause la plus pertinente de l’économie néoclassique survint lors de la controverse marginaliste. Les full costers firent preuve de maladresse, notamment en niant la maximisation du profit, ce dont les néoclassiques profitèrent pour clore le débat prématurément. Mais les full costers mirent en avant les éléments qui auraient permis de saper les fondements de la microéconomie néoclassiques, ce qui- soit dit en passant- discrédite le discours qui veut assurer les microfondations de la macroéconomie.

 

On a beaucoup critiqué l’hypothèse de l’homo economicus et de la maximisation du profit. Certes, elle simplifie radicalement la réalité, mais contrairement à beaucoup d’autres hypothèses, elle se contente de simplifier, elle ne trahit pas. La vraie question est de savoir comment maximiser le profit à long terme et il s’avère que la maximisation du profit à court terme peut être contreproductive pour des raisons énoncées par les full costers.

 

Une théorie est toujours dépendante de ses hypothèses et celles de l’économie ont quelques fois des motivations contestables. Parfois, elles visent à permettre une solution mathématique élégante à un problème ; par exemple, lorsque les consommateurs sont dotés d’une durée de vie infinie ; mais il est évident que le comportement de consommation et d’épargne d’un individu éternel doit différer sensiblement de celui des simples mortels que nous sommes. Parfois, elles font le lit de la thèse à démontrer ; c’est ainsi que l’équilibre de tous les marchés, y compris celui du travail, est postulé par les nouveaux classiques ; or c’est ce qu’il faudrait démontrer. Ces économistes pensent se tirer d’affaire si les tests empiriques n’infirment pas leurs résultats.

 

La validation de la théorie par les statistiques encourt deux biais. D’une part, les régressions ménagent généralement un espace de liberté excessif. Choix de la forme fonctionnelle, choix des coefficients, choix des délais : l’exercice est rendu trop facile. D’autre part, la validation empirique n’empêche pas les « déterminations cachées », c’est-à-dire le caractère déterminant de variables extérieures au modèle ou neutralisées pour le besoin de la cause. Par exemple, l’affirmation « l’encaisse détermine la demande de biens » peut faire écran à la réalité « le revenu nominal détermine l’encaisse et la demande de biens » : la validation empirique se laisserait piéger.

 

Pas plus qu’une bonne connaissance des théories philosophiques n’apporte la compréhension du sens de la vie, bien connaître l’économie politique ne permet de comprendre le fonctionnement de l’économie réelle. Mais elle réduit le champ d’ignorance.

 

L’économie politique, est-elle « de droite » ?

C’est la réputation qui lui est régulièrement faite. Elle vise essentiellement la composante néoclassique, ce qui s’explique en grande partie par son insistance sur les concepts centraux d’équilibre et d’optimum, qu’on pourrait interpréter comme l’affirmation d’un système économique harmonieux. Dès leurs début, les néoclassiques se sont attachés à démontrer la pertinence de la métaphore de la main invisible d’Adam Smith. Walras pensait avoir démontré mathématiquement l’existence d’un équilibre général, sa stabilité et sa coïncidence avec le maximum d’utilité sociale. Il cria victoire un peu trop vite, car il s’avère que sa démonstration était très imparfaite. Mais l’usage de plus en plus intensif de mathématiques de plus en plus sophistiquées déboucha sur des démonstrations de plus en plus solides et de plus en plus élégantes sur le plan mathématique.

 

Avec le modèle d’Arrow-Debreu (1954), une démonstration existe bel et bien, presque unanimement louée par la corporation des économistes. Elle est mathématiquement inattaquable, mais viciée à la base, car elle repose sur la conception néoclassique de la concurrence, dont l’absurdité a été révélée par les full costers. La présente critique ne met pas en question le niveau de la concurrence que surestimeraient des économistes aveugles à la présence de monopoles. C’est le comportement des firmes en concurrence qui est décrit de façon irréaliste, tant pour la concurrence parfaite que pour la concurrence imparfaite. Personnellement, je n’exclus pas qu’il serait possible de démontrer la tendance à l’équilibre avec d’autres hypothèses, moins irréalistes. La vision marxiste selon laquelle le marché serait générateur de désordre me paraît peu crédible.

 

Ici, la distinction entre la microéconomie et la macroéconomie s’impose. La tendance à l’équilibre est plausible dans la première car cette discipline n’envisage que des actions rationnelles dans un contexte d’information parfaite. Des économistes néoclassiques ont voulu étendre cette notion d’équilibre à la macroéconomie, ce qui les a conduits à des résultats absurdes comme l’incompréhension du cycle économique et la négation du chômage involontaire.

 

En microéconomie, le caractère optimal de l’équilibre est plausible, à condition de ne pas lui accorder une signification qui dépasse les limites du modèle. Par exemple, les externalités ne sont pas prises en compte. Il est aussi évident que le caractère optimal de l’équilibre, qu’il soit réel ou fantasmé, serait beaucoup plus difficile à démontrer avec des hypothèses réalistes comme les coûts constants, la prévalence de la non-price competition, le caractère exceptionnel du price-taking

 

Mais cet optimum, est-il vraiment important ?  Il consiste en la maximisation de l’utilité sociale compte tenu d’un niveau technologique et d’une quantité initiale de facteurs et de biens intermédiaires donnés de façon exogène. Optimum ne signifie donc pas prospérité. On pourrait avoir une société pauvre qui est à l’optimum et une société beaucoup plus avancée technologiquement qui est sous-optimale. En se concentrant à ce point sur cet optimum, l’économie de Walras et Pareto sous-estime le capitalisme dont la principale force est précisément la capacité d’innover. A leur conception de la concurrence, Schumpeter adresse la critique suivante : “But in capitalist reality as distinguished from its textbook picture, it is not that kind of competition that counts but the competition from the new commodity, the new technology, the new source of supply, the new type of organization (…) This kind of competition is as much more effective than the other as a bombardment is in comparison with forcing a door and so much more important that it becomes a matter of indifference whether competition in the ordinary sense functions more or less promptly”.

 

Et puis et surtout, l’équilibre et l’optimum n’impliquent pas la justice distributive. Les parétiens en sont bien conscients. Leur optimum signifie qu’il est impossible d’augmenter l’utilité d’un agent sans diminuer celle d’un autre. Mais cette utilité peut-être mal répartie. Une situation de l’économie ne peut être optimale que par rapport à une répartition initiale des ressources. Les parétiens ont apporté l’intéressante démonstration qu’il existe un optimum pour toute répartition initiale. D’où l’idée que l’Etat ne doit pas interférer avec le marché afin de ne pas troubler l’optimum mais que la porte est ouverte à une action redistributrice des pouvoirs publics par les transferts de revenus. Deux parétiens de gauche, Oskar Lange et Abba Lerner, sont à la base de cette thèse aujourd’hui assez largement admise. Elle a ensuite été développée par Paul Samuelson avec la fonction de bien-être social et par John Hicks avec le critère de compensation.

 

Une autre cause de suspicion à l’encontre de la théorie néoclassique est la fameuse proposition que la rémunération des facteurs de production est déterminée par leur productivité marginale. L’initiateur de cette conception, John Bates Clark, y a vu la légitimation de la répartition du revenu découlant de sa loi. Chacun recevrait selon sa contribution à la richesse sociale : n’est-ce pas là un exemple de justice ?  Cette vision optimiste a le grand tort de faire fi de la répartition des richesses et plus particulièrement du capital. Mais la plupart des économistes néoclassiques ne s’engagent pas sur ce chemin apologétique. Voici deux critiques percutantes contre cette conception émanant d’auteurs néoclassiques importants :

  • Frank Knight : “The income doesn’t go to factors but to their owners and can in no case have more ethical justification than has the fact of ownership. The ownership of personal or materiel productive capacity is based upon a complex mixture of inheritance, luck and effort, probably in that order of relative importance. What is the ideal distribution from the standpoint of absolute ethics may be disputed, but of the three considerations named certainly none but the effort can have ethical validity”.
  • Cobb et Douglas: “…even if there were precise correspondence, it (NDLR: le résultat de leur analyse) would not furnish any light upon the question as to whether capital for example should be privately owned to the degree to which it is in our society. For while capital may be “productive”, it does not follow that the capitalist always is.”

 

Toutes ces questions et bien d’autres sont développées beaucoup plus en détail dans mon livre “Ombres et lumières de l’économie politique” disponible à l’URL: http://www.eco-medie.be

 

 

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