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Blog consacré à l'économie et l'économie politique

Pourquoi y a-t-il des entreprises ?

Pourquoi y a-t-il des entreprises ?

Voilà une drôle de question. Même un enfant comprendrait qu'il n'y a pas d'économie sans entreprises. Pourtant, des économistes néoclassiques ont estimé devoir répondre à cette question. La réponse n'est pas unanime. Ci-dessous le chapitre de mon livre qui résume les points de vus dominants.

Les protagonistes:

Knight Frank

Etats-Unis

1885-1972

Coase Ronald

Grande Bretagne

1910-2013

Alchian Armen

Etats-Unis

1914-2013

Desmetz Harold

Etats-Unis

1930-2019

La nature de la firme

« The Nature of the Firm » est un article publié en 1937 par Ronald Coase où il pose la question qui, suivant l’optique, peut sembler la plus grave ou la plus légère de la science économique : pourquoi y a-t-il des firmes ? Pourquoi la firme existe-t-elle ? Ce qui motive cette question, c’est que la théorie néoclassique a démontré l’extrême efficacité du marché. Alors, pourquoi celui-ci n’est-il le lieu de passage que d’une partie des relations coopératives tissées par les hommes pour produire ? Les relations coopératives à l’intérieur de la firme sont en effet d’une nature différente de celles établies sur les marchés qu’on dit si efficaces. Pourquoi toutes les utilisations de ressources, ne font-elles pas l’objet d’un échange sur le marché ?

 

La raison réside dans les coûts de transaction : coûts de recherche d’un contractant, qui plus est, du meilleur contractant. Coûts à renouveler sans cesse, car sans la firme, il n’y a pas de contrats stables. La stabilité des contrats permet d’économiser des coûts de transaction. Or, l’essence de la firme, ce sont précisément des contrats à long terme par lesquels, dans les limites prévues par la loi, les détenteurs des facteurs de production se soumettent à l’autorité de l’entrepreneur.

 

La firme a une taille plus ou moins grande selon que plus ou moins de transactions sont gérées par l’entrepreneur plutôt qu’échangées sur le marché. Qu’est-ce qui détermine la taille de l’entreprise ? En fait, la fonction d’entrepreneur a elle-même des rendements décroissants. Jusqu’à une certaine taille, l’économie des frais de transaction dépasse les avantages du marché ; au-delà, le rapport s’inverse. « The question always is, will it pay to bring an extra exchange transaction under the organising authority ? At the margin, the cost of organising within the firm will be equal either to the cost of organising in another firm or to the cost involved in leaving the transaction be ‘organised’ by the price mechanism »[1].

 

L’entrepreneur selon Alchian et Desmetz

L’explication de Coase n’eut pas l’heur de convaincre Alchian et Desmetz. Ils reposèrent donc la même question dans un article publié en 1972 et y apportèrent leur propre réponse.

 

Ils s’opposent à l’idée que le pouvoir autoritaire de l’entrepreneur serait l’essence de la firme. La seule sanction qu’il peut appliquer à ses collaborateurs est de les licencier. Exactement comme quand sur le marché, il change de fournisseur. La durée des contrats n’est pas plus le nœud de la question : il est possible d’établir des contrats cadres à long terme sur le marché, tout comme il est possible d’employer du personnel à la journée.

 

La spécificité de la firme découle de la conjonction de deux facteurs : « it is in a team use of inputs and a centralized position of one party in the contractual arrangements of all other inputs »[2].

 

La production sera plus efficace si chaque agent est rémunéré suivant sa productivité. S’ensuit la nécessité de mesurer l’apport de chacun et sa rétribution. Le fait est que ce mesurage n’est pas réalisable à coût nul. Le problème vient de ce que dans la production coopérative (team production), le résultat n’est pas séparable. L’observation du produit ne permet pas de mesurer l’apport propre de chaque intervenant. Renoncer au mesurage reviendrait à donner l’avantage aux tire au flanc[3], mais consacrer plus de ressources au mesurage qu’il n’apporte de bénéfice serait irrationnel. La question devient donc : comment organiser un team pour optimiser l’efficacité ?

 

Dans le cadre d’une production coopérative, les transactions sur le marché sont impuissantes contre le shirking[4]. L’organisation la plus efficace est celle qu’Alchian et Desmetz appellent « the classical firm ». Elle consiste à attribuer la lutte contre le shirking à un agent spécialisé. Mais comment éviter le shirking de la part de cet agent ? En le rétribuant avec la recette résiduelle après paiement des autres inputs. La fonction de l’entrepreneur est avant tout l’anti-shirking, mais elle inclut les responsabilités connexes que sont l’embauche des autres facteurs, la distribution des tâches, la révision et la fin des contrats. Est également incluse dans cette fonction, le pouvoir de vendre les droits précités.

 

La fonction d’entrepreneur peut être partagée par plusieurs intervenants[5] (par exemple dans une coopérative), mais alors le risque de shirking des ‘moniteurs’ s’accroît avec leur nombre. Cette forme d’entreprise convient donc mieux pour les petits groupes.

 

Comme Coase, Alchian et Desmetz réfutent la théorie de l’entreprise développée par Knight. Comme nous l’avons vu (cf. chapitre 9.4), celui-ci fondait la fonction d’entrepreneur sur la prise de risque : il y a des entrepreneurs parce que certains, plus téméraires, doivent prendre la responsabilité de faire vivre les entreprises. Nos auteurs doutent que la distribution de l’entreprenariat et celle de l’aversion pour le risque coïncident à ce point.

 

Parmi les inputs, certains sont possédés par l’entrepreneur, d’autres sont loués. Vu l’interdiction de l’esclavage, les facteurs humains sont toujours loués. La tendance est à posséder les inputs matériels lorsqu’il s’agit de biens durables dont la durée de vie dépend du soin avec lesquels ils seront maniés. Le moniteur central, observateur permanent des processus internes de l’entreprise, pourra mieux s’assurer du bon usage de ce matériel qu’un propriétaire bailleur absent.

 

L’exercice de sa fonction par l’entrepreneur fait de lui un agent superinformé des caractéristiques des inputs internes à l’entreprise. Ceci lui permet de les combiner plus efficacement que ne le pourrait un acteur qui les acquiert tous par le marché.

 

On peut reprocher à l’analyse d’Alchian et Desmetz qu’elle postule la supériorité de la firme classique sur la marché en matière de lutte contre le shirking, plus qu’elle ne la démontre.

 

Alchian, Desmetz et les droits de propriété

L’année suivante, les mêmes auteurs publient un article intitulé « The Property Right Paradigm » qui répond à la question : qu’est-ce que la propriété ? « What is owned are rights to use resources, including one’s body and mind »[6]. Il existe une multitude de droits qui ont leurs limites légales. « What are owned are socially recognized rights of action ». Des droits différents relatifs à une même ressource peuvent être détenus par des agents différents.

 

Les auteurs distinguent trois situations alternatives :

  • les droits communaux
  • la propriété publique (étatique ou locale)
  • la propriété privée.

 

Les droits communaux sont ceux qui n’empêchent pas les autres personnes d’exercer les mêmes droits. Contrairement aux deux formes de propriété, ils ne comportent aucune exclusivité[7]. Ce serait par exemple le droit de chasse ouvert à tous dans un bois communal.

 

Une grande partie de l’article a précisément pour but de critiquer ce type de situation. Les droits y sont exercés suivant le principe « first come, first serve ». Il n’y a donc aucune incitation à économiser les ressources, puisque les bénéficiaires n’en supportent pas le coût ». Dans l’exemple ci-dessus, la préservation du gibier serait mise en danger. Un autre exemple est celui des embouteillages sur les routes gratuites. Les auteurs ne cachent pas leur préférence pour des routes payantes. « The communal right system raises transaction costs by creating a free rider problem »[8].

 

Une loi déclarant que les animaux abattus sur le bois communal appartiendraient à la communauté et non au chasseur qui les a tués résoudrait le problème de l’« overhunting » mais pourrait susciter le problème inverse de l’ « underhunting ». La société ne pourrait y remédier que par un surplus de régulation ou d’endoctrinement.

 

La conclusion d’Alchian et Desmetz est celle-ci : « Contrary to some popular notions, it can be seen that private rights can be socially useful precisely because they encourage persons to take account of social costs »[9].

 

 

 

[1] Coase [60] p. 404

[2] Alchian & Desmetz [5] p. 778

[3] Si tout le monde tire au flanc, la situation est désavantageuse pour le bien-être global, car le taux marginal de  substitution réel entre le loisir et le travail qui s’égalise avec leur rapport de prix ne serait pas égal au taux marginal de substitution souhaité et les agents travailleront moins que le niveau qui maximise leur utilité.

[4] Le lecteur me pardonnera cet anglicisme. La langue française n’a pas de substantif pour l’action d’être un tire-au-flanc. Le terme shirking revient très régulièrement dans l’article.

[5] Ce que les auteurs appellent « profit sharing ».

[6] Alchian & Desmetz [6] p. 17

[7] Les auteurs remarquent que couramment, « communal ownership is technically associated with state ownership, as in the case of public parks, wherein the state technically has the capability of excluding persons from using his property » (p.19)

[8] Alchian & Desmetz [6] p. 21

[9] Alchian & Desmetz [6] p. 24

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